UNE VIE DIFFICILE
L’année 2018 marque le centenaire de la fin d’une des plus grandes tueries. Les hommes de Château n’ont pas été épargnés, je vais vous conter l’histoire peu commune d’un des leurs.
Voici cette histoire
Hiver 1893. Dans la fin d’un après midi de décembre, la bise souffle sur les vieux quartiers de Macon et fait se presser les derniers promeneurs. Dans la rue Carnot une femme se déplace lentement, est-ce une bourgeoise ou bien une femme venant du peuple laborieux de la ville ou de la campagne ? Qu’importe qui elle est, d’où elle vient ! Elle se dirige vers l’Hospice de la Providence pour y quérir de l’aide pour elle et son enfant qu’elle porte depuis plus de huit mois. Son appel est entendu, la porte s’ouvre et la fait entrer dans cet oasis de quiétude où réchauffée, rassasiée, reposée elle reprend des forces
Angoissée, elle réfléchit sur son futur. Comment élever seule cet enfant qui va venir et qu’elle n’a pas voulu ? Comment faire pour vivre à cette époque où il ne fait pas bon d’être fille mère ? Alors elle se persuade qu’en abandonnant le bébé il sera protégé, peut être adopté par une famille généreuse, ainsi elle retrouvera sa place dans cette société difficile du temps de « la belle époque »
Le 13 février, à deux heures du soir, cette femme donne naissance à un beau garçon. Mademoiselle Gabrielle R… l’accoucheuse se rend à la mairie de Macon déclarer la naissance du nouveau né et faire entériner son abandon par la mère. Constatation aussi de l’absence du géniteur, ce lâche individu, responsable des misères de la mère et des difficultés à venir pour son fils dont il ignorera l’existence. Pour faire naitre administrativement le petit garçon il lui faut un nom, dans l’impossibilité de donner le nom des parents, l’officier d’état civil, avec l’accord des témoins, va lui en fournir un, il se nommera ALEXANDRE, son prénom sera JOSEPH, ainsi en a décidé l’administration.
Maintenant le petit Alexandre est pris en charge par l’Assistance Publique, dès les première heures une nourrisse s’occupe de lui, mais se ne sont pas les caresses de la mère, il ne reconnait pas l’odeur de celle qui lui a donné la vie, pour ce bambin c’est un traumatisme qui le suivra durant toute sa vie.
Les archives de l’hospice n’ont pu être retrouvées à l’hôpital de Macon, aussi aucun document n’a pu être consulté pour la première période de l’enfance d’Alexandre. On suppose qu’étant recueilli par une communauté religieuse, le petit Joseph a été baptisé, de ce fait il a des parrains ? a-t-il fait sa première communion ? Il a du être scolarisé, a-t-il eu son certificat d’étude primaire ? A-t-il été pensionnaire à l’orphelinat de l’hospice?
Alexandre n’a pas été adopté, en 1911 il est recensé à Château dans une famille d’accueil, à la ferme de monsieur Laforêt Jean Baptiste située aux granges sur la commune de Château. Outre les fermiers il y a les enfants « assistés », Marie 17 ans, Jeanne 13ans et Joseph 17 ans.
Les placements en famille d’accueil sont très répandus dans le milieu rural, cela permet d’éviter l’orphelinat aux enfants assistés, leur offrant une vie en milieu familial avec des activités formatrices, quant aux fermiers, outre un apport financier compensant les frais d’entretien de l’assisté, une aide des enfants à la vie de la ferme, comme domestique, est appréciée.
Depuis le début du mois d’août 1914, la guerre fait rage dans le nord de la France. Après de nombreux reculs de l’armée française, le conflit se fixe sur un front de batailles allant du Pas de Calais à la frontière Suisse. En octobre de la même année, Alexandre est appelé au conseil de révision. Malgré son mètre soixante de haut, une certaine faiblesse physique et un faible degré d’instruction il est déclaré « service armé » puis incorporé le 19 décembre 1914 au 133 ème régiment d’infanterie de ligne, appelé le régiment des lions.
Le 133 ème régiment, sera de toutes les grandes offensives. Pendant toute l’année 1915 jusqu’en juin 1916, il est sur le front des Vosges, de juillet à septembre on le trouve sur la Somme et en octobre de cette année en Argonne.
L’année 1917 marque un tournant dans la guerre, l’arrêt des combats à l’est de l’Europe permet à l’Allemagne d’augmenter le nombre de ses divisions sur le front en France, l’arrivée des Américains n’est pas encore significative. Entre janvier et avril de cette année le 133 ème est dans l’Aisne. Le 3 mai, devant Péronne, Alexandre est blessé à la tête par un éclat d’obus, il reçoit sa première citation à l’ordre de la brigade :
« Soldat dévoué et d’un courage remarquable, a été blessé en se portant vaillamment à l’assaut d’une position fortement organisée qui a été enlevée »
Pendant le séjour d’Alexandre dans un hôpital de campagne, son régiment fortement sollicité, avec peu de repos, s’en est pris à un général venu inspecter les troupes. Le 1 er juin le 133 ème manifeste et ne remonte pas aux tranchées, le 2 juin le régiment est retiré du front, les sanctions pleuvent : cinq soldats fusillés, treize sont condamnés aux travaux forcés, les officiers sont déplacés dans d’autres unités. En juillet le 133 ème reformé retourne sur le front de Champagne.
Le 15 novembre 1917, Alexandre considéré guérit, est affecté au 407 ème régiment d’infanterie. De mars à mai 1918 il combat en Picardie, le 27 mai il participe à la deuxième bataille de la Marne, en septembre il est en Champagne où Alexandre reçoit sa deuxième citation à l’ordre du régiment
« Agent de liaison ayant le plus grand mépris du danger. Pendant les attaques de fin septembre 1918, a fait preuve du plus grand courage en transmettant des ordres sous les plus violents bombardements et les rafales de mitrailleuses »
En octobre 1918 le 407 ème poursuit l’ennemi au nord des Vosges et au-delà de la frontière où les colonnes des vaincus laissent derrière elles un chemin de sang et de cendre.
Le 11 novembre 1918 à 11 heures, l’armistice sonne l’arrêt des combats, la guerre est finie.
Dès l’armistice la démobilisation des soldats débute, ils sont près de deux millions. Il faudra attendre les mois de septembre-octobre 1919 pour que les derniers soldats revoient leur famille, Beaucoup de soldats ne reviendront pas, ils sont honorés par la mention « mort pour la France », beaucoup d’autres reviendront physiquement diminués, aveugle, unijambiste, manchot, les poumons abimés par les gaz, pour ceux-là, le retour à la vie civil est très difficile, compliqué. Et il y a ceux qui comme Alexandre sont physiquement indemnes, mais quatre ans de combat ont laissé des traces dans leur mémoire, ont détérioré leur caractère, leur comportement et leur jugement, ils auront bien des difficultés à s’adapter à la vie civil.
Alexandre est de retour à la vie civile, le 8 septembre 1919, il a 25 ans. L’armée lui remet son livret militaire, son certificat de bonne conduite, une croix de guerre avec deux étoiles, sa médaille interallié,(plus tard, en 1937, il recevra la médaille militaire) puis on lui dit de retourner chez lui ! Alexandre n’a pas de « chez lui » alors il revient « aux granges » à Château où il est employé comme domestique à la ferme Bonzon.
En 1922 il assiste à l’inauguration du monument aux morts pour la France de Château, il en conserve une photo qu’il range avec sa croix de guerre et ses citations, « son trésor ». Dans les années qui suivent il sera aide maçon, ouvrier agricole, il aura un logis à la Berlingote. En 1936 la mairie de Château le loge dans l’ancien presbytère où il se dit cultivateur. Alexandre n’a pas trouvé l’âme sœur, il restera célibataire.
La grande guerre a déstabilisé l’Europe. Dans les années « trente », la France se retrouve avec des dictatures belliqueuses et expansionnistes à ses frontières, celles-ci sont fortifiées, l’armement est renforcé. Dans le cadre de la réserve, de 1938 au mois de mars 1940, Alexandre est envoyé en renfort à l’usine Scheiner armement au Creusot.
Septembre 1939, déclaration de guerre avec l’Allemagne, c’est la drôle de guerre, rien ne bouge jusqu’en mai 1940 où après avoir envahi la Belgique, les troupes germaines déferlent sur la France. Le pays est en partie occupé, l’Italie entre dans le conflit. Malgré des résistances héroïques, des fortifications intactes, des territoires non occupés et en ordre de bataille, le gouvernement, devenu l’Etat français, demande un armistice ce qui facilite pour quatre ans, l’occupation du pays par des troupes étrangères,
Aucun document n’existe concernant la vie d’Alexandre pendant la période qui va de 1940 à 1945, comment a-t-il vécu ces années ? A-t-il suivi le mouvement des anciens combattants qui a créé la « milice », bras armé de l’occupant ? A-t-il au contraire rejoint un courant de la résistance ? Ou tout simplement fait comme la plupart de nos concitoyens, essayé de survivre aux difficiles conditions de vie de l’époque.
Toujours est-il qu’à l’aube de 1945, Alexandre est revenu à l’ancienne cure où il s’occupe du cimetière du village, prépare l’église lors des cérémonies religieuses, entretien l’horloge de la tour. Les conditions de l’habitat d’Alexandre sont peu dignes de ce valeureux ancien combattant, comme le montre l’exposé que fait le maire, monsieur Gilloux lors de la séance du conseil municipal du 26 juillet 1951
« La commune possède une vieille maison qui a servi de presbytère jusqu’en 1919 ; Cette maison est en très mauvais état, le toit couvert de laves et menace de s’effondrer s’il n’est pas réparé sans tarder, l’intérieur est délabré. La maison cadastrée-------, elle est située sur une élévation près de l’église, dans un écart où n’arrive pas encore l’électricité--------«
De plus il n’y a pas de « commodité », l’eau vient d’une ancienne citerne d’eau de pluie à proximité du logis
Le 8 novembre 1956, Alexandre tombe malade, transporté à l’hôpital de Cluny dans le service médecine, il décède le 17 janvier 1957 à l’âge de 63 ans. Les obsèques ont été menées par l’entreprise de pompes funèbres Maurice Ducrot de Cluny. Le conseil municipal de Château avec son maire monsieur Claudius Genou, n’a pas cru bon de faire enterrer à Château celui qui entretenait le cimetière !
Actuellement il n’a pas été possible de trouver dans les archives municipales de Cluny l’endroit où a été déposé le corps d’Alexandre.
Seule, une enveloppe contenant les trésors de Joseph, enveloppe qu’il pensait retrouver à son retour de l’hôpital, est parvenue jusqu’à nous.
C’est un terrible destin pour cet homme, qui abandonné à sa naissance, est, à sa mort, égaré par l’administration !
J’espère que ces quelques lignes le sauveront de l’oubli.
Château juillet 2018
Armand BOULANGER
Les sources d’information
Archives départementales 71
Archives communales de Macon et de Château
Archives de l’hôpital de Cluny
Témoignages d’habitants de Château